Les jeux sérieux, plus connus sous la terminologie anglaise de serious game font de plus en plus parler d’eux. Inspirés d’un jeu créé par l’armée américaine, ces derniers se développent actuellement en entreprise. Mais alors que l’usage des jeux à des fins pédagogiques est bien connue, tant dans les organisations que dans les milieux universitaires, l’utilisation de l’intelligence artificielle renouvèle le genre. Cependant, dans le cadre de la formation en entreprise, l’usage des serious game interroge, particulièrement lorsqu’il s’agit de former à l’éthique. Ces nouveaux jeux sont-ils réellement pertinents pour former ou du moins sensibiliser à l’éthique ? Décryptage.

Les serious games : les nouvelles technologies mises au service de la formation

L’utilisation des jeux dans l’entreprise est une pratique relativement ancienne. Dès les années 60, certaines entreprises familiarisaient leurs salariés à l’actionnariat ou à l’intéressement via des jeux de plateau proches du jeu de l’oie. Depuis, le jeu reste une technique utilisée en entreprise, essentiellement pour sensibiliser les équipes à certains sujets.

Mais les développements des nouvelles technologies de l’information et des communications, de l’intelligence artificielle et de la robotique sont en passe de modifier cette approche en profondeur par le développement de jeux d’un genre nouveau : les serious game.

Les serious game sont apparus aux Etats-Unis, au début des années 2000, suite au lancement d’un jeu vidéo appelé America’s Army développé par l’armée américaine pour donner envie aux jeunes de s’engager. Le succès du jeu fut immédiat et aboutit au développement d’initiatives similaires, destinées aux entreprises. L’idée sous-jacente est que les jeunes générations en particulier, nés avec les jeux vidéo, réagissent positivement à ce type d’expériences, mêlant aspect ludique et pédagogique. Les serious game s’inscrivent donc dans une réflexion plus vaste, pour refonder les pratiques pédagogiques grâce aux nouvelles technologies.

Cependant, si l’innovation est la clef pour rester compétitif aujourd’hui et que le jeu semble un terrain approprié pour développer l’innovation via des processus d’essai-erreur, la réalité est plus nuancée. En effet, l’usage de jeux vidéo peut être un moyen différent et novateur pour sensibiliser à l’éthique, mais ce type de supports pédagogiques reste peu approprié pour les formations stricto sensu.

Un outil pédagogique utile pour sensibiliser à l’éthique

Les serious game peuvent se définir comme des applications informatiques « dont l’objet est de combiner à la fois des aspects sérieux tels l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (game) ».

Ces jeux aux fonctions utilitaires se divisent généralement en trois catégories : ceux destinés à diffuser un message (éducatif, informatif), ceux destinés à prodiguer un entrainement et ceux destinés à partager des données (comme Foldit, le jeu vidéo expérimental sur le repliement des protéines, développé par les départements de biochimie et d’informatique de l’université de Washington).

Les diverses fonctions de ces jeux permettent de les décliner sur divers thèmes dont l’éthique et la compliance, dans un objectif de sensibilisation. D’ailleurs, plusieurs jeux sérieux sur ces thèmes sont assez reconnus.

Parmi les serious games sur le thème de l’éthique, on peut citer Vivre Ensemble la Diversité, un jeu vidéo destiné aux collaborateurs et managers, pour les sensibiliser sur les diverses formes de discriminations, permettant de jouer en immersion dans la peau d’une personne discriminée ou qui discrimine. L’objectif est de permettre aux opérationnels d’acquérir des connaissances sur les discriminations, mais aussi de savoir identifier les comportements discriminants, pour réagir de façon appropriée ou encore de lutter contre les stéréotypes, en les repérant.

Autre jeu notable, celui destiné à sensibiliser à la corruption, en partie financé par la Commission européenne : Le Bon, la Brute et le Comptable. Le joueur tient le rôle de la directrice de cabinet de mairie qui doit faire face à des situations de corruption basées sur des exemples réels. Le but du jeu est de comprendre les mécanismes de la corruption tels que les faux contrats publics, les transactions immobilières frauduleuses ou encore le recours à des emplois fictifs.

Enfin, d’autres jeux visent, quant à eux, à sensibiliser les collaborateurs au handicap, comme le récent Cobra Zero. Ce jeu a pour objectif de sensibiliser les collaborateurs à la thématique du handicap invisible, afin de comprendre les bonnes postures à adopter, en offrant aux joueurs la possibilité d’incarner à tour de rôle plusieurs personnages inspirés d’agents secrets.

L’efficacité contrastée des serious games : une invitation à un usage parcimonieux  

Si plusieurs jeux sérieux sont dédiés à l’éthique et permettent de sensibiliser les collaborateurs à des thématiques variés comme la corruption, la discrimination ou encore le handicap, il n’en demeure pas moins que ces outils doivent être considérés comme des supports destinés à la sensibilisation plutôt qu’à la formation.

En effet, certains chercheurs remettent en cause tant l’efficacité ludique que pédagogique de ces jeux. Ainsi, une étude menée par le professeur Michel Lavigne sur un panel d’étudiants destiné à évaluer l’efficacité pédagogique et l’aspect ludique des jeux sérieux a mis en lumière des résultats décevants, permettant de douter de la capacité réelle de ces jeux à concilier ces deux enjeux.

Aussi, pour former effectivement les collaborateurs à des sujets sensibles comme la corruption, la transparence financière ou encore le harcèlement, il convient de se servir de ces jeux avec précaution. Ils peuvent constituer un complément utile pour réaliser des mises en situation qui auront sans doute du succès auprès des digital natives, en revanche, ils ne peuvent servir, en l’état,  de support unique pour aborder l’aspect théorique des sujets à la fois complexes, multiples et primordiaux de l’éthique et la compliance.

Au final, bien qu’ils soient à la mode et permettent de diversifier les supports de formation, les serious game ne peuvent remplacer une formation plus « classique » avec un intervenant spécialisé, capable d’enseigner des notions souvent complexes. Dès lors, ils ont surtout vocation à être utilisés à titre de complément, pour mettre en pratique les connaissances acquises d’une façon différente, à condition toutefois d’être bien construits et adaptés aux problématiques de l’entreprise.

Crédit photo : Unsplash

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