Instrument nécessaire à toute politique de conformité aboutie, les enquêtes internes se démocratisent dans leur principe et leur application. Ce phénomène s’accompagne d’interrogations nouvelles : dans quel contexte et selon quelles modalités diligenter des enquêtes internes ? Comment s’assurer de leur légalité ? Tour d’horizon des réflexions et pratiques de nos membres.

Ces dernières années, et peut-être encore plus ces derniers mois avec la crise de la Covid-19, la responsabilité des entreprises est de plus en plus interrogée dans la société. L’entreprise doit désormais rendre des comptes, être transparente, voire exemplaire.

Dans ce contexte, il est attendu de celles-ci qu’elles exercent des missions de contrôle de plus en plus poussées sur tout ce qui touche à leurs activités. Il s’agit pour elles de maîtriser, d’identifier et de sanctionner les pratiques non-éthiques, d’éviter tout risque de corruption, de discrimination, et d’empêcher tout manquement au corpus réglementaire. Plus encore, ces dernières doivent désormais faire preuve d’exemplarité sur les sujets éthiques et les grands enjeux de société.

Dans ce contexte, les missions d’enquête interne au sein des entreprises prennent de plus en plus d’importance. Sensée permettre aux organisations d’identifier et de sanctionner rapidement tout manquement à la loi ou à l’éthique, l’enquête interne est amenée à s’institutionnaliser, ce qui ne va pas sans poser de nombreux défis aux entreprises.

L’enquête interne en toute institutionnalisation

Progressivement, les obligations portant sur les processus d’enquête interne dans les entreprises se renforcent. Ces cinq dernières années, plusieurs réglementations sont ainsi venues encadrer et institutionnaliser la pratique de l’enquête interne.

Dans le cadre de la Loi Sapin II, l’avènement du dispositif d’alerte prévu par l’article 17 a entraîné une augmentation du recours au processus d’enquêtes internes afin de pouvoir traiter les signalements opérés par les collaborateurs d’entreprise.

En outre, divers arrêts des hautes juridictions ont progressivement précisé et encadré les procédures d’enquête interne.

Le 28 février 2018, dans son arrêt 17-81.929, la Cour de cassation consacre ainsi la capacité de l’entreprise à mener des investigations pour identifier et sanctionner les comportements délictueux. Un an et demi plus tard, le 27 novembre 2019, la Cour précise et instaure une obligation d’enquête en cas d’alerte pour des faits de harcèlement moral, physique ou sexuel (arrêt 18-10.551). Enfin en mars 2020, un arrêt du Conseil d’État encadre la pratique en disposant que le pouvoir d’enquête de l’employeur ne saurait attenter à la vie privée du salarié (arrêt 418640).

Les entreprises et les départements éthique et compliance voient donc leurs prérogatives d’enquête interne progressivement renforcées et précisées.

L’enquête interne au cœur des nouvelles responsabilités sociales et éthiques de l’entreprise

Le recours plus systématique des entreprises aux mécanismes d’enquête interne s’avère également le fait d’une évolution culturelle : les faits et gestes des entreprises sont désormais sous le feu des projecteurs. Médias, mais aussi citoyens sont de plus en plus attentifs aux éventuels manquements éthiques de ces organisations. L’enjeu dépasse celui de la simple conformité pour s’étendre à celui des normes sociétales qui peuvent affecter la réputation de l’entreprise et notamment sa « licence to operate ».

À ce titre, l’exemple récent du licenciement du Directeur Général de Rio Tinto, Jean-Sébastien Jacques, est éclairant. Dans ce cas, l’enquête interne a été diligenté non pas suite à un manquement à la conformité réglementaire, mais plus étonnamment, suite à un manquement à la conformité aux valeurs de l’entreprise. L’enquête interne dépasse alors ses frontières initiales pour se porter sur le terrain de l’éthique et des valeurs.

Avec la crise du coronavirus, ce mouvement semble se renforcer encore. L’entreprise est désormais attendue sur toutes les grandes questions de société, des questions sociales jusqu’à l’écologie. Et l’enquête interne devient progressivement l’un des outils à disposition des organisations pour garantir leur exemplarité sur ces sujets.

Les enjeux émergents liés au développement des enquêtes internes

De plus en plus confrontées à la problématique des enquêtes internes, les entreprises doivent donc mettre en place des procédures et des pratiques de suivi adaptées. D’autres questions éthiques émergent alors.

D’abord celle de l’acculturation : au sein d’une entreprise, la mise en place d’enquêtes internes peut-être un véritable choc culturel qui demande aux organisations des efforts profonds de pédagogie et de clarification. Il s’agit alors de démontrer en quoi l’enquête interne participe d’un processus d’amélioration continue des mécanismes organisationnels relatifs aux questions d’éthique et de valeurs.

Il s’agit également de ne pas en faire un simple outil de sanction mais un axe de progrès continu et collectif, qui doit susciter l’adhésion de chacun et dont la légitimité doit être pleinement comprise.

La question de la méthodologie est également fondamentale pour prendre les devants sur les multiples questions éthiques liées aux enquêtes internes. Désormais pleinement investies de responsabilités de contrôle et d’investigation, les entreprises doivent clairement comprendre et définir leur rôle. A ce titre, il semble important d’élaborer une méthodologie clarifiant les frontières de l’enquête interne, notamment quand celle-ci touche à des problématiques ayant de potentielles implications légales, ou pouvant faire l’objet d’enquêtes judiciaires. L’enquête interne se doit de respecter plusieurs grands principes : celui de la neutralité, de la présomption d’innocence, de la discrétion ou de la confidentialité.

Se posent enfin de multiples questions sur la répartition des responsabilités ayant trait à l’enquête interne dans l’entreprise. Qui gère et coordonne les enquêtes internes ? Faut-il mettre en place un comité de traitement des alertes ? Faut-il former des collaborateurs aux pratiques d’enquête, et si oui, comment ? Qui garantit un déroulement juste et conforme des enquêtes internes ? Quelles sont les grilles de sanction proportionnées et mesurées applicables dans le cadre d’une enquête interne ? Ou plus largement, comment gérer l’émergence des valeurs et des autres problématiques para-réglementaires dans le cadre des missions de contrôle et d’investigation des entreprises ?

Enquêtes internes : un enjeu de confidentialité et de protection des données

Le développement des enquêtes internes amène également les entreprises à de nouvelles interrogations en matière de confidentialité et de protection des données, et plus spécifiquement de conformité avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

La rédaction des rapports d’enquête interne pose ainsi de nombreuses questions : comment garantir la confidentialité et la protection des données des salariés impliqués ? Comment sécuriser les données stockées suite à une enquête interne ? Quelles méthodes d’archivage permettent d’associer la conservation sécurisée des données le temps nécessaire et la protection des données individuelles ?

Le développement des responsabilités des entreprises en matière d’enquêtes internes amène ainsi de nouvelles réflexions éthiques. Les interrogations soulevées par la démocratisation des missions d’enquête interne s’avèrent donc être un vrai défi pour les professionnels de l’E&C qui devront sans aucun doute y faire face ou y participer de plus en plus régulièrement dans les années à venir.

Crédit photo : Unsplash

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