Suite à l’affaire du Médiator, la notion de conflits d’intérêts revient sur le devant de la scène médiatique. Leur détection et leur gestion restent cependant délicates dans les organisations, certaines pratiques étant encore considérées comme « normales » dans la vie des affaires ou relevant en partie de la sphère privée. S’ils ne constituent pas en soi des faits délictueux, les conflits d’intérêts peuvent cependant causer des préjudices graves et durables aux entreprises en portant atteinte à leur réputation. Mais alors, comment les détecter et comment prévenir leurs conséquences dommageables ? Le cas échéant, comment les sanctionner ? Le guide de l’ONG Transparency International sur les conflits d’intérêts en entreprise distingue à ce titre trois leviers d’actions : l’identification et la prévention des situations de conflit d’intérêt, leur traitement et la sanction éventuelle des collaborateurs fautifs.

Identifier et prévenir les conflits d’intérêts

La notion de conflits d’intérêts se réfère initialement aux situations qui naissent dans la sphère publique, lorsque des décisions d’agents publics s’avèrent guidées par des intérêts extérieurs à l’intérêt général. Pourtant, des situations de conflits d’intérêts peuvent également voir le jour dans la vie des affaires, même si parfois elles ne sont pas clairement identifiées comme telles.

La difficile identification des conflits d’intérêts résulte principalement d’une méconnaissance de cette notion qui recouvre des réalités très diverses. Selon le guide de Transparency international, un conflit d’intérêts se définit comme : « une situation qui naît quand l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions d’une personne est susceptible d’être influencé par un autre intérêt public ou privé distinct de celui qu’il doit défendre dans ces fonctions ».

Pour prévenir les conséquences potentielles préjudiciables d’un conflit d’intérêt, il est tout d’abord nécessaire d’identifier les situations, selon le contexte et l’activité de l’entreprise, qui peuvent donner lieu à de tels conflits. Le contexte étant très différent d’une organisation à l’autre, il est impossible de dresser une liste exhaustive des situations pouvant donner lieu à des conflits d’intérêts.

Toutefois il semble possible d’en identifier les causes les plus courantes. Ainsi, les conflits d’intérêts résultent généralement de relations personnelles entre un donneur d’ordre et son fournisseur, de l’existence de liens familiaux ou amicaux aboutissant au contournement de certaines procédures internes, ou encore à raison d’engagements associatifs ou électifs de certains membres de l’entreprise.

C’est d’ailleurs pour éviter toute accusation de conflit d’intérêt liée à son élection au conseil d’administration d’Apple que Robert Iger, directeur exécutif de The Walt Disney Company, a annoncé renoncer à ses fonctions chez Apple le 10 septembre dernier. Cette décision s’explique par le lancement des services de vidéos à la demande Apple TV+ et Disney+ au courant du mois de novembre, qui mettra les deux entreprises en concurrence.

Face aux multiples situations qui peuvent déboucher sur un conflit d’intérêt, l’entreprise doit donc déployer un plan de prévention efficace. A ce titre, le guide de Transparency International liste un certain nombre de mesures pertinentes comme la mise en place d’actions de formations du personnel, la rédaction d’un code éthique illustré de cas pratiques concrets, ou encore la désignation d’un référent éthique.

Traiter les conflits d’intérêt

Les conflits d’intérêts étant difficilement évitables dans les entreprises, un grand nombre de collaborateurs devront à un moment ou à un autre de leur carrière y faire face. En eux-mêmes, ils ne s’avèrent pas répréhensibles. En revanche, le silence ou une réponse inadaptée à la situation peuvent générer de réels préjudices à l’entreprise et porter durablement atteinte à sa réputation, ainsi qu’à celle de la personne en cause.

Ainsi, lorsqu’un conflit d’intérêts est avéré, il est nécessaire d’avoir une approche individualisée de la situation qui tient compte des risques concrets encourus par l’entreprise et les salariés impliqués. Les mesures adoptées pourront alors être adaptées et proportionnées au cas d’espèce en respectant les règles du droit du travail.

Mais concrètement, quelles pourraient être les actions envisageables ? En fonction de la situation, l’entreprise peut mettre en place plusieurs types de mesures. Elle peut par exemples prévoir une double signature de l’acte problématique ; imposer un contrôle par le N+1 du salarié concerné ou encore imposer au salarié de se désister du processus en cours.

L’objectif de ces mesures est avant tout d’éviter qu’une situation de conflit d’intérêts apparent n’aboutisse à un conflit d’intérêts réel. Autrement dit, il s’agit d’agir en amont de la décision ou de l’action qui pose problème lorsqu’un conflit d’intérêts a été détecté.

Si le cas est particulièrement sérieux et que l’acte ou la décision a déjà été validé, mettant directement en cause la loyauté du collaborateur ou du dirigeant impliqué, il peut alors être nécessaire de lui demander de faire des choix plus radicaux : arrêter l’activité externe source du problème ou quitter volontairement l’entreprise.

Sanctionner les collaborateurs fautifs

Selon les règles du droit du travail, une sanction ne peut découler que d’une faute d’un salarié. La seule existence d’un conflit d’intérêts ne suffit donc pas pour prendre des sanctions à l’encontre d’un collaborateur ou d’un dirigeant. En revanche, lorsque le conflit d’intérêts a porté préjudice à l’entreprise et constitue à ce titre une faute imputable au salarié, il est alors possible d’adopter des mesures de sanction.

Pour cela, il faut respecter la procédure disciplinaire et notamment être attentif au fait que le fait fautif ait été commis dans les deux mois précédents la sanction. Dans le même ordre d’idées, il faut veiller à respecter le processus propre aux sanctions disciplinaires : convocation du salarié à un entretien lors duquel il peut se faire assister, formulation de la sanction par écrit, …

Quant à la sanction adoptée, une nouvelle fois, elle doit être adaptée et proportionnée. En France, conformément aux règles applicables, les sanctions peuvent être : l’avertissement ; le blâme ; la mise à pied à titre disciplinaire ; la mutation ; la rétrogradation ou dans les cas les plus graves, le licenciement pour faute. Mais dans les cas les plus médiatisés, en général, la personne impliquée préfère quitter volontairement son poste avant d’être sanctionnée.

Un des exemples les plus marquants de ces derniers mois s’avère sans doute l’affaire WeWork, en référence à la célèbre société américaine de coworking du même nom. Suite au dépôt des documents nécessaires à son introduction en Bourse en août 2019, de nombreuses pratiques douteuses effectuées par son dirigeant, Adam Neumann, sont apparues. Louant à la société des immeubles lui appartenant, ce dernier avait obtenu près de 6 millions de dollars suite au changement de nom de la société en « We Company » – marque qu’il avait lui-même déposé – et possédait un nombre de droits de vote par action bien supérieur à ce dont il pouvait légalement prétendre.

Ces révélations ont d’abord abouti le 13 septembre 2019 à la limitation par le conseil d’administration du nombre de droits de vote d’Adam Neumann, avant un débat sur le bien-fondé de sa destitution. Sous la pression du conseil d’administration, ce dernier a finalement préféré démissionner de son poste de PDG, le 24 septembre 2019.

Au-delà de ce cas d’espèce, certaines situations sont également susceptibles d’engager la responsabilité pénale de leur auteur. S’agissant des personnes privées – la prise illégale d’intérêt étant réservée aux agents de la fonction publique – les deux délits principaux qui peuvent découler d’un conflit d’intérêts sont :

  • Le délit d’abus de bien social qui sanctionne le fait pour les dirigeants ou administrateurs de mauvaise foi qui utilisent les biens de la société à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils sont intéressés ;
  • Le délit d’abus de confiance, qui désigne le fait de détourner des fonds ou un bien remis en vue d’en faire un usage contraire à ce qui avait été déterminé avec son propriétaire.

Bien que les sanctions pénales soient réservées aux cas les plus graves, l’existence même de situations de conflits d’intérêts peut entacher durablement la réputation d’une entreprise. Dans une société où l’image et la réputation ont une importance considérable, a fortiori par temps de crise de confiance dans les institutions, il s’avère primordial de les restreindre, dans la mesure du possible, au maximum. A ce titre, le développement d’une culture d’entreprise exemplaire en termes d’éthique mêlant actions de préventions, sensibilisation et traitement efficace des conflits avérés apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur, quelle que soit la taille de l’entreprise.    

Crédit photo : Unsplash

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