Depuis l’adoption de la loi PACTE, le Code civil impose à chaque société de prendre en compte les enjeux sociétaux et environnementaux de son activité. En parallèle de cette exigence, il leur offre la possibilité de se doter d’une « raison d’être », voire de devenir une « entreprise à mission ». Mais que recouvrent véritablement ces formules et quelles incidences pratiques peuvent-elles avoir sur l’activité économique des organisations ? Éléments de réponse suite à l’événement organisé le 28 janvier 2020 par le Cercle d’Éthique des Affaires dédié à ce thème.

C’est quoi la raison d’être au juste ?

Impossible pour une entreprise d’ignorer en 2020 les externalités négatives que ses activités entraînent en terme sociétal et environnemental. C’est même devenu une obligation légale en vertu de l’article 1833 du Code civil. Il n’en a pas toujours été autant. La modification de l’objet social est le fruit d’un long processus débuté en 2002 lors de l’adoption de la loi NRE qui vient contraindre, de manière inédite, les entreprises à effectuer un reporting extra-financier.

Puis l’Investissement Socialement Responsable (ISR) se développe, la société civile se mobilise de plus en plus régulièrement, exigeant de la part des grandes entreprises une reconnaissance plus franche de leur responsabilité sociétale, et certains dirigeants éclairés commencent à évoquer « l’utilité sociale » des entreprises au-delà de la seule rentabilité financière.

Cette tendance de fond aboutit à l’adoption en avril 2019 de la loi PACTE et à la possibilité pour les entreprises de se doter d’une « raison d’être », c’est à dire des « principes » que la société fait apparaître dans ses statuts et pour lesquels « elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Fruit des réflexions de Jean-Dominique Sénart et Nicole Notat[1], la « raison d’être » de l’article 1835 du Code civil se veut la formalisation de l’utilité sociale de l’entreprise. Ainsi elle doit faire figure d’étoile polaire, de boussole pour orienter les choix stratégiques de l’entreprise. Elle doit en outre résulter d’une méthode de co-construction avec les parties prenantes directes de l’entreprise dans la mesure où elle entend restaurer et développer leur confiance.

[1] Notamment le rapport « L’entreprise, objet d’intérêt social »

La « bonne » raison d’être

Plusieurs grands groupes se sont d’ores et déjà dotés de raisons d’être. Michelin, Atos, la SNCF, Orange ou Danone… Et la liste s’allonge rapidement. Qu’est-ce qui fait alors une « bonne » raison d’être ?

Lorsqu’on interroge le dirigeant d’un grand groupe, expert de ces sujets, il préfère nous répondre par une série d’adjectifs. Tout d’abord une raison d’être s’exprime de manière synthétique. D’aucuns avancent même qu’une bonne raison d’être se doit de tenir sur un t-shirt ! Sans aller jusqu’à ce degré de dépouillement, il semblerait toutefois qu’au-delà d’une quinzaine de lignes, l’exercice soit manqué.

Une « bonne » raison d’être doit également être crédible et en prise avec la réalité des valeurs de l’entreprise. Elle doit donc être le fruit d’une réflexion collaborative descendante et montante dans l’entreprise et représenter l’ensemble de son corps social.

Autre caractéristique importante : la différenciation. La raison d’être ne saurait se résumer à une juxtaposition de concepts génériques, transposables d’une entreprise à l’autre. ADN de la société, elle doit lui être unique. Attention toutefois : loin de se restreindre à un simple slogan marketing la raison d’être doit rester opposable.

Enfin, la raison d’être doit également avoir une capacité inspirationnelle forte pour l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Elle doit faire coïncider la mission quotidienne de l’entreprise avec son engagement en faveur de l’intérêt général. Si l’on prend l’exemple de la raison d’être de la SNCF : « Apporter à chacun la liberté de se déplacer facilement en préservant la planète », la première partie de phrase correspond effectivement à l’activité quotidienne de l’opérateur ferroviaire tandis que la préservation de la planète fait référence à son engagement en faveur de l’intérêt général.

Et si l’on redoute d’échouer à faire cet exercice, il peut être utile de s’inspirer des 17 Objectifs du Développement Durable (ODD).

Les effets bénéfiques d’une raison d’être

Se doter d’une raison d’être deviendra-t-il une norme pour les grandes entreprises ? Probable. La rapidité avec laquelle de nombreuses entreprises se sont emparées du sujet démontre leur maturité sur ces questions. Elle confirme également le fait qu’aujourd’hui la responsabilité d’entreprise est de moins en moins perçue par les dirigeants comme un coût ou comme un risque juridique mais bien comme une opportunité stratégique.

Les effets bénéfiques sont d’ores et déjà visibles pour les entreprises qui ont défini une raison d’être. En permettant aux collaborateurs de mieux comprendre la finalité de leur action, celle-ci concoure d’abord à apporter du sens aux salariés qui s’interrogent parfois sur l’utilité concrète de leur travail.

En second lieu, elle permet aux entreprises éclatées, opérant à l’international, parfois sur différents secteurs d’activité, de réunir les différentes entités qui la composent autour d’une identité commune, d’un projet d’ensemble cohérent, et d’agir telle une colonne vertébrale, un fil rouge et un instrument d’unité pour les grands groupes.

Intégrer la raison d’être dans son entreprise

S’il est un peu tôt pour identifier l’ensemble des bonnes pratiques qui mèneraient à un déploiement réussi d’une raison d’être en entreprise, certains experts ayant déjà accompagné plusieurs entreprises dans ce type de projet mettent en gardent contre certaines erreurs à ne pas commettre.

Premier écueil à éviter : le travail en chambre. L’adoption d’une raison d’être ne saurait en effet être à l’initiative exclusive de la direction générale sans information préalable au conseil d’administration !

Seconde règle d’or : mettre en place un comité de copilotage associant les diverses fonctions de l’entreprise et dédié à ce projet. Sans aborder le comment dans un premier temps, l’entreprise doit alors répondre au pourquoi de son activité. Et à cet exercice chaque fonction a déjà une réponse : les RH ont par exemple la marque employeur, les juristes se réfèrent à l’intérêt social, les stratèges ont généralement défini une mission et une vocation, quant à la direction marketing elle a son « récit ». Il convient donc de les faire travailler ensemble afin d’aboutir à une projection commune des différentes visions de l’entreprise.

Enfin, pour véritablement donner corps à la raison d’être il peut être utile de l’accompagner d’un manifeste qui viendra définir et préciser les termes de la raison d’être et d’une charte d’engagement qui énoncera, quant à elle, les actions concrètes et les moyens qui lui sont associés. Ainsi, la raison d’être doit avoir une résonnance pratique dans l’activité quotidienne des salariés et doit permettre d’orienter tant les choix stratégiques que les décisions les plus opérationnelles.

Et après quoi ?

Pour certains dirigeants, la raison d’être représente une étape certes nécessaire mais encore insuffisante. C’est seulement le « premier étage de la fusée ». Vient ensuite l‘entreprise à mission. Statut consacré par l’article L210-10 du Code de commerce, les entreprises peuvent l’obtenir lorsqu’elles cumulent plusieurs conditions, notamment le fait d’avoir une raison d’être, de dédier son activité à la poursuite d’un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnementaux, de nommer un comité de mission dédié, et de se soumettre à un audit externe.

Pour s’inscrire dans cette démarche exigeante, le dirigeant que nous avons rencontré conseille de se regrouper en coalition d’entreprises et d’adopter pourquoi pas « une raison d’être ensemble », et ce y compris avec ses concurrents.

Crédit photo : Unsplash

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